IX
LE VIN DE L’ÉTÉ

Bolitho tira sur les rênes de son cheval et fit halte près d’un muret couvert de mousse. Il laissa ses yeux errer sur les champs et quelques chaumières blotties le long de la route de Penryn. Cela faisait trois jours qu’il était arrivé inopinément à Falmouth : il n’avait jamais éprouvé un tel sentiment de bonheur. Chaque heure amenait son lot de découvertes, mais il savait que ce bonheur venait de ce qu’il partageait ces heures avec Catherine. Il était né ici, il avait grandi au milieu de ces villages et parmi ces fermes avant de partir, comme tous les Bolitho, pour son premier embarquement, ce vieux Manxman de quatre-vingt-dix canons qui était mouillé à Plymouth.

Cette époque était l’un des rares moments de paix qu’avait connus l’Angleterre, mais pour ce jeune aspirant de douze ans, cette expérience avait été la plus effroyable de toute son existence. La taille de ce vaisseau – du moins telle qu’il lui apparaissait – lui avait coupé le souffle. Les mâts immenses et leurs vergues, ces centaines de marins affairés et de fusiliers, cette impression accablante qu’il ne parviendrait jamais à trouver son chemin à bord, voilà qui avait eu de quoi le dérouter.

Il apprenait vite et s’était donc rapidement ri de tout, sans aucune arrière-pensée, des vexations incessantes et de l’humour sans nuances qu’il finit par reconnaître comme propres à tous les vaisseaux, aussi indispensables que le goudron et les cordages qui les faisaient tenir. Il n’avait encore jamais vu l’amiral lorsqu’il avait rejoint son second embarquement et n’aurait jamais cru qu’il parviendrait à son tour au grade divin de lieutenant de vaisseau, sans parler de voir sa propre marque flotter en tête d’une ligne de bataille.

Catherine approcha son cheval du sien, épaule contre épaule, et lui demanda :

— A quoi penses-tu ? – elle se pencha un peu et posa sa main gantée sur la sienne : Tu sembles si lointain…

Il se tourna vers elle et lui sourit. Elle portait une tenue d’équitation vert foncé et elle avait noué en macaron au-dessus de ses oreilles ses cheveux qui brillaient au soleil.

— Des souvenirs. Une foule de souvenirs de toutes sortes – il lui pressa la main : Je pense à ces trois jours, à notre amour.

Ils ne pouvaient détacher leurs regards l’un de l’autre. Bolitho songeait à ce jour où ils avaient trouvé une anse tranquille et avaient laissé leurs chevaux brouter pendant qu’ils partaient l’explorer. Près de la plage minuscule, il avait découvert un vieil anneau tout rouillé et couvert d’algues scellé dans la pierre. C’est à cet endroit que, petit garçon, il était arrivé à bord de sa prame. Surpris par la marée, il n’avait pas réussi à s’en aller. On l’avait retrouvé en train de grimper le long de la falaise, menacé par les vagues qui lui léchaient les chevilles comme pour le faire tomber. Son père était en mer, sans quoi il aurait eu du mal à s’asseoir pendant une bonne semaine.

Elle lui avait dit après l’avoir écouté :

— Cette anse sera notre anse.

Ce souvenir le laissait encore rêveur. Ils avaient fait l’amour sur ce petit croissant sableux, comme si plus rien n’existait au monde qu’eux deux.

— Tu sais, fit-elle doucement, je songeais à la même chose que toi.

Ils s’assirent et restèrent silencieux un bon moment, dans la quiétude du paysage environnant. Les chevaux se faisaient des agaceries, les insectes bourdonnaient et les oiseaux joignaient leurs chants à ce bruit de fond. La cloche d’une église les sortit de leurs pensées, Catherine retira sa main.

— J’aime énormément ta sœur Nancy, elle a été très gentille avec moi. Je suppose qu’elle n’avait encore jamais rencontré quelqu’un de ma sorte.

Elle leva les yeux et se tourna vers la spacieuse demeure que l’on apercevait derrière une grille grande ouverte, comme pour les accueillir.

— Son mari aussi, il m’a proposé aide et conseils sans que je lui aie rien demandé.

Bolitho suivit son regard. La demeure que Nancy et Lewis Roxby appelaient leur maison était vaste. Elle était dans la famille Roxby depuis des générations et Bolitho savait pourtant que, pendant des années, Lewis, le Roi des Cornouailles, avait lorgné la maison grise sous le château de Pendennis. Ses ancêtres s’étaient peut-être contentés de leur position de propriétaires et de magistrats municipaux, ce n’était pas le cas du mari de Nancy. Agriculture, mines d’étain, même une compagnie locale de paquebots : tout cela n’était qu’une partie de son empire. C’était un seigneur qui buvait sec et aimait la chasse lorsqu’il n’était pas occupé à gérer ses affaires ou à faire pendre les criminels de la circonscription. Bolitho et lui avaient peu de choses en commun, mais il traitait bien Nancy pour qui il éprouvait beaucoup d’affection. Pour cette raison, Bolitho lui aurait tout pardonné ou presque.

Il poussa sa monture, ne sachant trop ce qui les attendait. Il avait envoyé un billet à Félicité pour la prévenir de leur visite et avait eu l’idée de prendre des chevaux plutôt que d’arriver en voiture, afin de donner à cette visite un air d’impromptu et de lui ôter toute apparence tant soit peu formelle.

Les sabots des chevaux claquèrent dans la cour pavée et deux domestiques accoururent pour prendre les brides tandis qu’un troisième approchait un tabouret. Mais, à son grand étonnement, Catherine sauta à terre avec la plus grande aisance.

Voyant que cela faisait sourire Bolitho, elle pencha un peu la tête, le regard interrogateur.

Bolitho passa son bras sur ses épaules :

— Je suis si fier de toi, Kate !

— Et pourquoi cela ?

— Oh, pour plusieurs raisons – et l’étreignant : Pour tout ce que tu fais, pour ta façon d’être.

— Tiens, il y a quelqu’un qui nous épie, derrière la fenêtre dans l’escalier – elle parut soudain moins sûre d’elle : Je n’aurais pas dû venir.

— Eh bien, lui répondit-il, voilà quelque chose qui vaudra la peine qu’on regarde – et il déposa un baiser sur sa joue : N’est-ce pas ?

Elle se reprit vite et lorsqu’un valet de pied ouvrit les deux grands battants, laissant apparaître un Lewis Roxby rubicond et rondouillard qui se précipitait pour les accueillir, elle lui fit un grand sourire et lui tendit aimablement la main.

Roxby se tourna vers Bolitho :

— Bon sang, Richard, vous êtes rusé comme un vieux renard ! J’espérais que vous resteriez un peu plus longtemps là où vous étiez pour me laisser le loisir de faire plus ample connaissance avec votre dame, hein !

Il les prit tous deux par la taille et les mena dans une grande pièce qui donnait sur un jardin foisonnant de rosiers. Les portes étaient ouvertes et l’endroit embaumait.

— Quel parfum ! s’exclama-t-elle en battant des mains, et Bolitho crut revoir la jeune fille qu’il avait connue dans le temps à Londres.

Pas la ville de Belinda, non, mais ce Londres des vieilles rues et des marchés, des jardins et des théâtres populaires, avec ses porteurs d’eau et ses mendiants. Il savait si peu de choses sur elle, mais il éprouvait une immense admiration à son égard, un amour comme il n’en avait jamais connu.

Il se tourna vers une autre porte vitrée et aperçut deux femmes qui bavardaient en remontant vers la demeure.

Nancy semblait ne jamais changer, mis à part le fait qu’elle était un peu plus enrobée à chacune de leurs rencontres. Ce qui n’était guère étonnant, compte tenu de la vie qu’elle menait avec Roxby. Elle était la seule de leur famille à avoir hérité du teint clair et de la complexion de leur mère. Ses enfants lui ressemblaient. Le regard de Bolitho s’arrêta sur sa compagne, assez perplexe. C’était bien Félicité, elle devait avoir autour de cinquante et un ans, les yeux et le profil des Bolitho, mais ses cheveux châtains, qui étaient tout gris désormais, n’étaient plus qu’un souvenir. Son visage et ses joues étaient couleur cendre, comme chez quelqu’un qui sort à peine d’une forte fièvre.

Elle pénétra dans la pièce en lui faisant un lent signe de tête, mais il ne ressentit rien, pas le moindre lien. Une véritable étrangère.

Nancy courut vers lui, le serra dans ses bras avant de l’embrasser. Il émanait d’elle une odeur fraîche, agréable, l’odeur du jardin, songea-t-il.

— Après toutes ces années, notre Félicité est revenue !

Le ton était un peu forcé, Bolitho crut même surprendre le regard qu’elle jetait à son mari pour attirer son attention.

— Je voudrais vous présenter Catherine, commença Bolitho.

Félicité la regarda froidement avant de faire une brève révérence.

— Madame, il m’est impossible de vous souhaiter la bienvenue, puisque je ne suis pas ici chez moi, et je n’ai d’ailleurs pas de maison à moi.

— Nous allons nous en occuper bientôt, hein ? lâcha Roxby.

— J’ai appris avec beaucoup de tristesse la mort de Raymond, reprit Bolitho. Cela a dû être terrible.

Elle fit comme si elle n’avait pas entendu.

— J’ai écrit à Edmund par l’intermédiaire des intendants du régiment, Cox et Greenswod. Mon second fils, Miles, est rentré en Angleterre avec moi.

Ses yeux enfoncés se tournèrent vers Catherine, on avait l’impression qu’elle la déshabillait du regard. Elle ajouta :

— Ma vie n’a pas été facile. J’ai eu une petite fille, comme vous savez, mais je l’ai perdue là-bas. Son père avait toujours voulu avoir une fille, vous voyez…

Catherine la regardait, l’air grave.

— Je suis désolée. J’ai grandi dans un pays au climat difficile et je compatis.

— Naturellement, répondit Félicité en hochant la tête. J’avais oublié. Vous avez été mariée à un Espagnol avant de rencontrer votre époux actuel, le vicomte.

Roxby demanda de sa voix pâteuse :

— Un peu de vin, Richard ?

Bolitho fit non de la tête. Qu’arrivait-il à Félicité ? Peut-être avait-elle toujours été ainsi ?

— Catherine t’a fait parvenir un billet pour te dire que tu étais toujours la bienvenue dans notre demeure, le temps que tu décides où tu souhaites t’installer. J’étais en mer et Catherine n’avait aucune idée de ma date de retour ; elle a agi comme elle savait que je l’aurais souhaité.

Félicité alla s’asseoir dans un fauteuil doré à haut dossier.

— Ce n’est plus ma maison depuis le jour où j’ai rencontré puis épousé Raymond. Désormais, il est sûr qu’il n’y a plus place pour moi là-bas – elle se tourna vers Bolitho : Mais tu t’es toujours conduit sans réfléchir, même lorsque tu étais enfant.

Catherine intervint.

— Cela, j’ai du mal à le croire, madame Vincent. Je ne connais personne d’aussi réfléchi lorsqu’il s’agit d’autrui – ses yeux lançaient des éclairs, mais elle restait calme –, même lorsqu’on ne lui rend pas sa compassion.

— Naturellement, fit Félicité en chassant un grain de poussière de sa manche. Vous êtes sans doute la mieux placée pour connaître ses qualités, sans quoi…

Catherine se détourna, Bolitho remarqua qu’elle tapotait nerveusement le pli de sa robe d’amazone. Il avait eu tort, il allait présenter ses excuses à Nancy et prendre congé. Félicité reprit :

— Pourtant, il y a une faveur que je veux te demander, Richard – elle le regardait en face, et s’était redressée : Mon fils Miles a démissionné de la Compagnie des Indes. Peut-être pourrais-tu faire en sorte qu’il soit pris au service du roi ? Je n’ai pas beaucoup de disponibilités et il serait vite promu.

Bolitho traversa la pièce et prit Catherine par le bras.

— Je ferai ce que je peux. Peut-être pourrais-je le rencontrer ?

Puis il continua :

— Je suis capable de comprendre ce que la perte de Raymond a pu représenter pour toi. Mais je ne peux pas, je ne veux pas et je ne tolérerai pas ta dureté à l’égard de Catherine. Je ne suis pas ici chez moi, sans quoi tu peux être sûre que je me serais beaucoup moins retenu !

Il vit toute la scène en un éclair. Catherine, très droite. Nancy, la main sur la bouche et au bord des larmes, qui espérait visiblement le voir n’importe où pourvu que ce fût ailleurs. Félicité seule semblait aussi froide, sans émotion aucune. Elle avait besoin qu’il lui accordât une faveur, mais le dégoût qu’elle éprouvait pour Catherine lui avait fait perdre presque tout espoir.

Lorsqu’ils eurent passé les hautes portes, Roxby murmura :

— Je suis désolé de ce qu’il s’est passé, Richard. Sale affaire – et il ajouta à l’intention de Catherine : Elle se radoucira, ma chère, vous verrez. Les femmes sont décidément étranges, vous savez !

Il prit la main qu’elle lui tendait et l’effleura des lèvres. Elle lui sourit :

— Ah oui, vraiment ?

Et elle se retourna, on amenait les deux chevaux sortis de l’écurie.

— Je n’ai pas connu son pauvre mari, naturellement – lorsqu’elle se retourna vers Roxby, le sourire s’était envolé –, mais on dirait qu’il est mieux là où il est. Et pour ce qui me concerne, je me soucie comme d’une guigne qu’elle s’adoucisse ou non !

Lorsqu’ils eurent franchi le portail, Bolitho se pencha pour lui prendre la main. Elle tremblait de tous ses membres.

— Je suis absolument désolé, Kate.

— Non, Richard, ce n’est pas cela. Je suis habituée aux pestes, mais je ne supporte pas que l’on parle ainsi de toi !

Les chevaux étaient en alerte, comme s’ils avaient perçu leur colère. Elle se tourna vers lui.

— Il paraît que c’est ta sœur, mais je ne l’aurais pas deviné toute seule ! Après tout ce que tu as fait, pour moi comme pour tant d’autres, et quand je sais de quel prix tu l’as payé ! – elle secoua la tête comme pour essayer de chasser ces pensées : Eh bien, qu’elle aille au diable !

Il lui secoua doucement le bras et lui dit doucement :

— Revoilà la tigresse ?

Elle hocha la tête et s’essuya les yeux d’un revers de main.

— N’en doute jamais ! – et elle éclata de rire : On fait la course jusqu’à la maison !

Et elle piqua des deux dans un nuage de poussière avant que Bolitho ait eu le temps de réagir.

Roxby resta à les regarder du haut des marches de sa grande demeure jusqu’à ce qu’ils eussent disparu au milieu des champs. Son valet, qui se tenait près de lui, un homme depuis des années à son service, lâcha :

— Voilà une jument qui a un sacré tempérament ou je ne m’y connais pas, monsieur.

Roxby le regarda, mais l’homme restait impavide.

— Euh oui, Tom, c’est bien vrai.

Et il rentra dans la maison en essayant de se composer une figure en prévision de ce qui l’attendait.

Quelle femme, songeait-il. Pas étonnant que Bolitho ait l’air tellement en forme, il avait rajeuni. Il s’examina rapidement dans un grand miroir en traversant le hall. Bolitho avait à peu près son âge, mais paraissait bien plus jeune. Avec une femme comme ça… Il chassa ces pensées, fit son entrée dans la pièce qu’ils venaient tout juste de quitter et éprouva un certain soulagement en voyant que sa femme était seule.

— Elle est allée s’étendre, Lewis.

Roxby poussa un grognement vague. Mais il était mécontent de voir des traces de larmes sur ses joues.

— Je vais voir si je puis lui trouver une maison convenable, ma chère.

Il passa derrière elle et lui mit tendrement la main dans les cheveux. Il se creusait la tête pour essayer de trouver un moyen de se débarrasser de sa Félicité. Puis il reprit brusquement :

— Je me demande bien comment elle sait tant de choses sur le passé de Catherine ? Je ne lui ai absolument rien dit. Et d’ailleurs, je ne sais rien, bon sang !

Nancy lui prit la main et la baisa.

— Je me posais la même question.

Elle se leva, elle avait retrouvé sa bonne humeur.

— Je vais m’occuper d’organiser un souper ce soir, Lewis – puis elle ajouta : Richard paraît en tellement meilleure forme qu’après la perte de son bâtiment, en octobre dernier. Ils se font mutuellement du bien, c’est certain.

Roxby s’assura qu’il n’y avait pas de domestique en vue et lui flatta la croupe au passage.

— Oh, vous n’êtes pas non plus si méchant homme que cela, mon cher !

Il nota que le rouge lui était monté aux joues et qu’elle remettait ses cheveux en ordre. Peut-être se souvenait-elle de ce qu’ils étaient tous deux, avant l’arrivée des enfants, avant ces années d’efforts pour accroître leur fortune et améliorer leur train de vie. Il se peut qu’ils ressemblaient alors à ces deux êtres qu’il avait vu partir au galop dans le chemin comme s’ils ne se souciaient pas du reste du monde.

Il ne lui vint pas à l’esprit que son aimable épouse avait peut-être songé, elle, à ce jeune aspirant dont elle était tombée amoureuse, il y avait si longtemps, et qu’elle se revoyait avec lui.

 

Pendant deux semaines, la vie continua de la sorte pour Bolitho et sa Catherine, au même rythme fantasque et idyllique. Ils partaient à cheval dans des chemins inconnus ou allaient faire de longues marches le long de la mer, jamais en peine de conversation, ravis de combler leur intimité retrouvée.

Cet univers étrange, celui de la guerre et des menaces d’invasion, semblait bien loin et Catherine n’y avait fait allusion qu’une seule fois, alors qu’ils se trouvaient sur la pointe qui domine la Helford. Une frégate s’éloignait de la terre en louvoyant. Ses voiles étaient toutes pâles au soleil, sa coque basse et élancée, comme celle qui avait coulé la Miranda de Tyacke.

— Quand te préviendra-t-on ?

Il avait passé le bras autour de ses épaules, les yeux perdus, occupé à admirer cette frégate. Et si tout cela n’était qu’un rêve après tout ? Il pouvait recevoir ses ordres à tout moment, peut-être une convocation à l’Amirauté. Il était bien décidé à profiter de la moindre minute qu’ils pouvaient passer ensemble jusqu’au moment où… Il avait fini par lui répondre :

— Il y a des bruits qui courent, Leurs Seigneuries auraient l’intention de réunir une nouvelle escadre. C’est ce qui me semble le plus probable. A condition que l’on trouve suffisamment de vaisseaux.

La frégate avait envoyé ses huniers qui s’ébrouaient dans le vent du large et la faisaient ressembler à quelque créature qui se réveille après un bref repos.

Il songea soudain à son neveu, Adam. Au moins une bonne nouvelle qu’il avait recueillie à l’Amirauté. Il avait pris le commandement d’un cinquième-rang de trente-huit canons, L’Anémone. Comme il devait être fier ! Il commandait une frégate, c’était l’aboutissement de son rêve, et il n’avait que vingt-six ans. Anémone… fille du vent. Voilà qui sonnait juste. Il avait pris comme maître d’hôtel le fils d’Allday, exactement comme il l’avait promis. Son bâtiment avait reçu ordre de gagner la mer du Nord pour patrouiller devant les côtes hollandaises.

Il avait espéré que toutes ces informations tireraient Allday de sa morosité. Lorsque ce dernier était arrivé à Falmouth en compagnie de Yovell et d’Ozzard, avec tous les bagages que Bolitho avait laissés à Londres, il était allé directement à l’auberge voir la fille unique du tenancier.

Yovell en avait parlé à Bolitho sous le sceau du secret. L’auberge n’avait pas seulement changé de propriétaire, la jeune femme en question était partie pour épouser un fermier de Redruth.

Alors que la seconde semaine s’achevait, Bolitho était occupé à lire un article de la Gazette qui mentionnait pour la première fois la prise du Cap. Le temps écoulé comme la distance avaient aiguisé sa mémoire, mais la Gazette semblait considérer qu’il s’agissait d’un fait de seconde importance. Et elle ne faisait aucune allusion au brûlot.

Allday pénétra dans la pièce :

— Il y a là un jeune monsieur qui désire vous voir, sir Richard. Mr. Miles Vincent.

— Très bien. Je vais le recevoir à l’instant.

Catherine était descendue au bureau de la propriété avec Ferguson. Bolitho était encore sidéré du talent qu’elle avait pour mettre de l’ordre dans les affaires. Avec l’aide empressée de Ferguson, elle avait établi un programme de labour et de semailles pour l’année à venir. Elle avait même étudié les ventes de grain dans la région et les avait rapprochées de ce qui se pratiquait dans le nord, jusqu’en Ecosse. Elle s’attendait à ce que Ferguson prît assez mal ses idées ambitieuses pour les cultures, mais, tout comme à la propriété elle-même, on aurait dit qu’elle lui avait insufflé un nouveau dynamisme.

Il s’approcha d’une fenêtre et regarda la route, cachée à présent par d’épais buissons. Il allait bien falloir qu’ils s’en aillent d’ici pour affronter le monde extérieur à Falmouth. Londres, tous ces lieux pleins de gens qui se retourneraient pour les observer, tandis que d’autres cacheraient leur jalousie derrière des sourires mielleux…

La porte s’ouvrit, se referma, et il se retourna pour voir le fils de Félicité qui se tenait immobile dans un halo de poussière. Il était vêtu sans recherche, veste bleu uni et chemise blanche plissée, mais il émanait de lui une impression de propreté impeccable. Si l’on faisait abstraction d’une certaine solennité, inhabituelle chez un jeune homme, il pouvait ressembler à Adam au même âge.

— Asseyez-vous je vous prie, lui dit Bolitho en lui tendant la main, nous avons été désolés d’apprendre la mort si inattendue de votre père. Cela a dû être très pénible pour votre famille.

— C’est vrai, sir Richard.

Il s’installa dans un fauteuil et enfouit ses mains dans son giron.

Bolitho se fit la réflexion qu’il ressemblait à un jeune homme qui s’apprête à demander à un père la main de sa fille. Il était timide, mais tout de même assez déterminé. On l’aurait pris n’importe où pour un Bolitho. Dix-neuf ans, des yeux gris, les cheveux aussi noirs que les siens. Derrière cette timidité apparente, on devinait pourtant aisément de l’assurance, marque de tout officier de marine, quel que soit son âge.

— J’ai cru comprendre que vous cherchiez à obtenir un brevet dans la marine royale. Il n’y a pas, à première vue, de difficulté particulière. Les volontaires prêts à partager un poste d’aspirant, même s’ils y sont contraints par des parents fiers de leur progéniture, voilà qui ne manque pas. Mais les gens d’expérience comme vous sont nettement plus rares.

Ce petit préambule avait pour but de le mettre en confiance, de le pousser à s’exprimer. Il n’était pas très facile de se retrouver assis en face d’un vice-amiral dont les exploits à la mer comme à terre alimentaient les commentaires en tout genre. Bolitho n’avait aucun moyen de savoir ce que Félicité avait bien pu lui raconter, il s’attendait donc à trouver quelqu’un sur ses gardes.

Mais il n’avait pas prévu la réaction du jeune homme qui s’exclama :

— Je suis absolument désolé, sir Richard ! J’étais lieutenant à titre provisoire dans la Compagnie, parfaitement compétent pour tout ce qui regarde la conduite des bâtiments et le quart. J’étais sur le point d’être promu. Voulez-vous dire que je serais réduit à l’état de simple aspirant ?

Il avait bien oublié sa timidité et semblait au bord de l’indignation.

— Du calme, lui répondit Bolitho. Vous apprendrez aussi bien que moi, si ce n’est mieux, qu’un grade à bord des bâtiments de la Compagnie n’a absolument rien à voir avec ce que l’on exige au service du roi. La solde et le confort y sont bien supérieurs, les vaisseaux ne sont pas armés par une racaille provenant des prisons ou forcée par la presse, et on ne leur demande de se battre que pour défendre leurs propres cargaisons. Lorsque j’étais capitaine de vaisseau, ce qui remonte à un certain temps, j’aurais volontiers enrôlé de force quelques-uns de leurs meilleurs marins.

Il fit une pause avant de reprendre :

— Dans la marine royale, on attend de nous que nous combattions l’ennemi sans tenir compte de ses qualités ni de sa force. Mes hommes ne servent pas pour l’argent ni pour le bénéfice que tout homme un peu doué peut espérer retirer au service de la Compagnie et, pour la plupart d’entre eux, ils ne se battent pas davantage pour leur roi et pour leur patrie !

Voyant que le jeune Vincent en avait les yeux tout écarquillés, il poursuivit :

— Cela vous étonne ? Alors, laissez-moi vous expliquer. Ils se battent les uns pour les autres, pour leur bâtiment qui sera leur foyer aussi longtemps qu’on ne les libérera pas d’un service dur et exigeant.

— Vous… vous avez été très clair, sir Richard, bredouilla le jeune homme.

Bolitho sourit intérieurement : il redevenait nerveux.

— Ainsi, reprit-il, si vous persistez dans vos projets, j’appuierai votre requête auprès d’un commandant qui a besoin de jeunes recrues. Je suis certain que quelqu’un comme vous, avec toutes les qualités que vous avez évoquées, deviendra enseigne au bout de quelques mois, peut-être moins. La flotte manque d’officiers comme jamais. Mais je ne puis rien faire pour des gens qui ne sont pas capables d’entraîner et de diriger ceux qu’ils ont l’ambition de commander.

— Si vous me permettez, sir Richard, on cite partout votre brillant exemple.

Il se releva vivement lorsque Catherine entra par une porte qui donnait sur le jardin. Ses yeux allaient de Bolitho à ce personnage très droit dans sa tenue bleue et dit :

— Vous êtes sans doute Miles.

Elle ôta son chapeau de paille qu’elle abandonna sur un coffre et déposa un léger baiser sur la joue de Bolitho.

— C’est une journée merveilleuse, Richard, nous irons marcher sur la falaise dans la soirée – elle lui lança un regard interrogateur lorsque le jeune homme se précipita pour lui avancer un siège. Merci, mon jeune ami.

Vincent examinait les portraits qui, tels des spectateurs muets, se tenaient à chaque tronçon de l’escalier.

— Ce sont tous de grands marins, sir Richard. Je ne désire rien tant que de leur ressembler – et jetant un coup d’œil à Catherine, qui restait impassible – … pour faire honneur au nom des Bolitho.

Avec la même application recherchée, il s’excusa et quitta la maison. Bolitho remarqua :

— En tout cas, c’est un beau parleur.

Il se tourna vers elle et vint s’agenouiller à ses pieds.

— Qu’y a-t-il, Kate chérie ? Dis-le moi.

Elle lui effleura le visage avec une tendresse soudaine.

— Ce jeune homme. Ce visage, ces yeux… il est tellement de votre côté. Il ajoute un mystère de plus à tous ceux que je ne puis partager.

Bolitho lui prit la main et tenta de l’égayer.

— Ses manières sont parfaites, mais on les éduque convenablement à la Compagnie, leurs jeunes officiers savent aussi bien faire la cour à des dames de qualité qu’à de jeunes personnes en mal d’amour qui vont au bout du monde !

Cela ne fit aucun effet.

— Je veux tout partager avec toi, Kate chérie, et ne te partager avec personne.

Elle posa la main sur son visage en souriant.

— Tu te rends toujours compte de tout, Richard. C’est comme un lien plus fort que le mariage, parce que nous en avons voulu ainsi et l’avons réalisé.

Ses yeux sombres exploraient son visage, chaque trait l’un après l’autre.

— Je serai tout ce que tu voudras que je sois. Ta maîtresse, ta compagne, ton amie – elle éclata de rire en jetant la tête en arrière – … ou alors une dame à qui les jeunes officiers offrent un siège. Que vas-tu faire de lui ?

— Que Félicité va-t-elle en faire serait une question plus pertinente ! il lui prit le bras : Allons faire notre promenade sur la colline. Je ne m’en lasse jamais… Tu me raconteras en chemin tes projets pour le domaine.

Allday ferma derrière eux après qu’ils furent sortis dans le jardin pour se diriger vers la petite porte.

Il essayait de ne plus penser à la fille de l’auberge. Qu’avait-il espéré ? Comment avait-il pu se dire qu’il l’épouserait en continuant à servir Bolitho à la mer ? Il n’avait toujours pas trouvé de réponse lorsqu’il croisa Ozzard qui se dirigeait vers les cuisines où il donnait de temps à autre un coup de main à Mrs. Ferguson.

— T’as vu ce gars qu’est venu pour s’engager ?

— Pas l’air commode, je te garantis, fit Ozzard en fronçant le sourcil. Et pourquoi a-t-il démissionné de la Compagnie des Indes, c’est ce que j’aimerais bien savoir avant de lui confier des responsabilités.

Allday poussa un soupir. Cela faisait plaisir, voir Bolitho et sa dame aller se promener, mais cela ajoutait aussi au sentiment qu’il éprouvait, d’être rejeté, sans rien à faire jusqu’à ce que de nouveaux ordres arrivent. Et même cette perspective ne suffisait pas à l’apaiser. Il fit, à moitié pour lui-même : « Si seulement elle avait attendu. »

Ozzard se tourna vers lui, pris d’une rage à la française :

— Attendre ? Mais elles n’attendent jamais, aucune, et plus tôt tu t’enfonceras ça dans le crâne, matelot, mieux ça vaudra !

Allday le regardait, muet d’étonnement. D’ordinaire, il se montrait plus calme. Après tout, il n’était pas le seul à avoir des soucis.

C’était, à ce qu’assuraient beaucoup de gens, l’un des plus beaux étés qu’on eût jamais vus. Les moissons avaient été belles, l’agnelage s’était bien passé, et les pêcheurs eux-mêmes ne se plaignaient pas. Sans cette absence des jeunes gens dans les fermes et dans les rues de Falmouth, on se serait cru en temps de paix.

Les nouvelles de la guerre étaient rares et, hormis quelques rapports qui signalaient la présence de bâtiments de guerre français dans le golfe de Gascogne, et seulement, en petit nombre, tout se passait comme si toute la flotte ennemie avait été subitement engloutie. Bolitho songeait parfois à cette frégate venue se réfugier sous le cap de Bonne-Espérance, ou aux documents codés qu’ils avaient découverts à bord de l’Albacore. Cela faisait-il partie d’un plan d’ensemble, ou bien les commandants subalternes avaient-ils l’initiative de ces mouvements sporadiques et des quelques tentatives de desserrer le blocus sévère des Anglais ?

Il avait souvent fait part à Catherine de ses réflexions car, à sa manière, elle se préparait elle-même à l’inévitable. Lorsqu’arriva le dernier jour du mois d’août, elle lui dit calmement :

— C’est tout un pan de ton existence que je ne peux pas partager avec toi. Aucune femme ne le peut. Mais quoi qu’il advienne, quelle que soit ta mission, je serai avec toi.

Ils étaient partis à cheval le long des falaises et, contrairement à leur habitude, n’avaient pas dit grand-chose, heureux d’être simplement ensemble. Ils étaient retournés à la petite anse une fois encore, là où ils avaient si passionnément fait l’amour et jeté toute trace de pudeur dans les flots. Cette fois-ci, ils avaient mis pied à terre, mais étaient restés en haut de la falaise à la tête des chevaux et se tenaient par la main sans un seul mot. Comme s’ils avaient deviné ce qui allait suivre, tel le jour où Catherine avait senti la présence de son bâtiment lorsqu’il s’était embarqué à Portsmouth.

Lorsqu’ils étaient revenus dans la cour de l’écurie, Bolitho avait aperçu Allday qui attendait près de la porte. Allday regarda tout d’abord Catherine puis Bolitho.

— Le courrier est venu et il est déjà reparti, sir Richard.

Peut-être s’y attendait-il lui aussi. Il avait peut-être même souhaité cet instant. Reprendre la mer, servir celui qu’il aimait plus que tout au monde. Faire ce à quoi il avait consacré sa vie.

A présent, alors que le soleil de ce début de soirée jetait presque à l’horizontale ses rayons dans la grande pièce, la maison était étrangement silencieuse. Bolitho déchira la lourde enveloppe scellée de cire rouge et marquée dans un coin de l’ancre de l’Amirauté.

Elle lui tournait le dos, son chapeau de paille à la main. Elle contemplait le jardin, essayant peut-être de rester calme. Elle avait encore sur les lèvres le goût de l’air marin, un goût de larmes séchées.

Il posa la lettre et lui dit :

— Apparemment, on me confie une escadre – elle se tourna vers lui lorsqu’il ajouta : Enfin. Et un nouveau navire amiral.

Elle traversa vivement la pièce et son chapeau tomba par terre.

— Cela signifie-t-il que nous ne serons pas séparés tout de suite ? – elle attendait qu’il la prenne dans ses bras : Dis-moi que c’est bien vrai !

Bolitho lui sourit :

— Je dois aller à Londres – il la serra plus fort, il sentait la chaleur de son corps contre lui –, nous irons ensemble, si c’est cela que tu veux.

Elle hocha la tête.

— Je vois ce que tu veux dire. Que pouvons-nous attendre de bon dans certains cercles – voyant une certaine tristesse dans ses yeux gris, elle lui caressa le visage : Je sais ce à quoi tu pensais, à ton nouveau navire amiral. Ce ne sera pas ton vieil Hypérion, mais lui au moins est à l’abri de ceux qui voulaient le déshonorer en le réduisant à l’état de ponton après ses années de service.

Il passa la main dans ses cheveux.

— Tu lis en moi comme dans un livre, Kate. C’est vrai, c’est à cela que je songeais. Il s’appelle le Prince Noir et il est en achèvement à l’arsenal royal de Chatham. Je t’emmènerai là-bas… je ne veux pas te perdre une seule seconde !

Elle alla s’asseoir près de la grande cheminée, vide à présent, mais dont les pierres portaient les traces noires d’innombrables soirées d’hiver. Bolitho faisait les cent pas, elle le regardait, sans rien dire qui pût le distraire de ses pensées ou interrompre ses réflexions. Cet homme était celui qu’elle chérissait si tendrement, avec tant de possessivité. Il s’arrêta un instant de marcher et la regarda, mais elle savait qu’il ne la voyait pas. Il fit brusquement :

— Je vais demander qu’on me donne un bon capitaine de pavillon. J’insisterai.

— Tu penses à Valentine Keen ? répondit-elle en souriant tristement.

Il s’approcha d’elle et lui prit les mains.

— Tu as raison, une fois de plus. On ne lui a pas encore donné de nouvelle affectation et cela ne ressemble pas à Val, ne rien avoir dit sur la date de son mariage. Il est tout aussi étrange que Zénoria ne t’ait pas écrit.

Il hocha la tête, comme s’il changeait d’avis :

— Non, je ne peux pas lui demander d’être de nouveau mon capitaine de pavillon. Ni l’un ni l’autre ne m’en remercierait ! – il serra ses mains plus fort. Val est comme moi, il a mis du temps à trouver la femme qui partagerait sa vie.

Elle leva les yeux, les siens brillaient.

— Lorsque nous serons à Londres, promets-moi d’aller consulter ce chirurgien. Fais-le pour moi… si tu ne trouves pas d’autre raison.

Il se mit à sourire, c’est ce qu’il avait demandé à Tyacke.

— Si j’en trouve le temps – il laissa échapper un soupir – … il faut que nous partions d’ici deux jours. Ce que je déteste ce voyage… le seul voyage connu qui dure plus longtemps à chaque fois !

Elle se leva, fit du regard le tour de la pièce silencieuse.

— Cela me laissera tant de souvenirs. Sans ces quelques semaines que nous venons de passer, je ne sais pas si j’aurais supporté ces nouvelles – elle se tourna vers lui et ajouta – ne t’inquiète pas pour Val et sa Zénoria. Cela ne fait pas très longtemps qu’ils se sont retrouvés, ils ont besoin d’un peu de temps pour tout régler. Et, ensuite, ils nous préviendront.

Puis elle l’attira vers la fenêtre en s’exclamant :

— Et si nous en trouvons le temps – elle le vit sourire en l’entendant qui l’imitait –, je te ferai découvrir quelques aspects de Londres, si bien que tu ne seras plus d’aussi mauvaise humeur chaque fois que tu devras aller voir les lords de l’Amirauté.

Ils sortirent dans le jardin et se dirigèrent vers le mur où s’ouvrait la petite porte qui donnait accès au sentier, en direction de la falaise et de la butte, là où elle était allée à sa rencontre le premier soir. Elle finit par dire :

— Et ne te tourmente pour moi lorsque tu seras parti, je ne m’interposerai jamais entre tes navires et toi. Tu m’appartiens, ils m’appartiennent donc aussi.

Ozzard les regardait depuis une fenêtre dans l’escalier près de laquelle il s’était installé pour astiquer quelques assiettes d’étain pour Mrs. Ferguson. Il ne se retourna pas à l’arrivée d’Allday, mais laissa tomber :

— On s’en va ?

Allday acquiesça en se massant la poitrine, sa vieille douleur revenait.

— Ouais, mais on commence par Londres – et en ricanant : Je viens de l’apprendre par hasard.

Ozzard frotta de plus belle une assiette qui était déjà rutilante. Il avait l’air troublé, mais Allday savait fort bien qu’il ne fallait pas le déranger dans ces cas-là. Il changea de sujet :

— Il s’appelle le Prince Noir, un second-rang flambant neuf de quatre-vingt-quatorze canons. Nettement plus gros que tout ce qu’on a connu, pas vrai ? Un vrai palais, c’est moi qui te le dis !

Mais Ozzard pensait à autre chose. Il songeait à cette rue, le long du vieux mur de Wapping, à sa maison d’où il s’était enfui après avoir commis cette abomination, en ce triste jour.

Il entendait encore ses supplications, ses hurlements. Et après, après qu’il eut frappé à mort sa jeune femme et son amant, à s’en faire mal au bras, ce silence terrible.

Ce souvenir qui n’avait cessé de le hanter était remonté à la surface lorsque ce chirurgien de passage à bord de l’Hypérion avait laissé tomber négligemment une remarque à ce sujet. Au moment où le vieux vaisseau avait commencé de sombrer, Ozzard avait décidé de couler avec lui, avec les objets de Bolitho serrés dans la cale où on l’envoyait toujours quand leur bâtiment, n’importe lequel de leurs bâtiments, mettait aux postes de combat. Mais le sort en avait décidé autrement. Il poussa un grand soupir. Il répondit seulement :

— Ainsi, c’est Londres.

 

Un seul vainqueur
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